A Turtle in a Kitchen

a déménagé

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Désolée pour le dérangement...

A Turtle in a Kitchen: avril 2008

avril 28, 2008

Entre deux voyages... cigares d'agneau aux amandes, chutney de rhubarbe aux 3 poivres

Les retours de voyage sont propices à la réflexion. S'il m'est parfois arrivé d'évoquer, entre deux lignes, mes doutes professionnels, je n'ai jamais pour autant pris vraiment le temps de parler des raisons pour lesquelles j'étais entrée dans cette aventure que constitue la rédaction d'une thèse.
Par pudeur, par incapacité aussi. Comment décrire ce qui m'occupe quasiment tous les jours d'une année, quand ce ne sont pas les nuits? Comment prendre du recul lorsque je suis prise dans un travail qui génère ses propres dynamiques, entraîne l'esprit, et pousse les questionnements si loin?

Des premières années, je me souviens surtout de ce léger sentiment de honte. Particulièrement lorsque le fameux "et toi, tu fais quoi dans la vie?" débarquait, de préférence sur la terrasse d'un troquet, en bord de mer, alors que je reprenais difficilement mon souffle coupé par un fou rire. Honte, parce que les réactions sont souvent les mêmes, et qu'elles me mettaient à l'époque profondément mal à l'aise. Cette espèce d'admiration, qui me semblait si disproportionnée par rapport à ce que je pouvais ressentir face à ce choix dont je ne mesurais pas encore toutes les conséquences, et la distance immédiate que cet aveu suscitait, assorti du quasi systématique : "ouah, chapeau! moi, je n'aurais jamais pu, ce n'était vraiment pas fait pour moi".
Gênée, je rétorquais systématiquement un timide "non, non, mais tu sais, moi non plus, je ne me sentais pas prédestinée, et encore aujourd'hui, je ne suis pas sûre..."
Sûre de quoi au juste ? Sûre d'avoir bien choisi ? Sûre d'aimer ce travail? Sûre d'être capable de terminer ? Sûre de savoir pour quelle raison j'étais partie sur cette voie, et surtout, où elle me mènerait finalement ? Autant de questions à l'égard desquelles je ne dispose toujours que de réponses parcellaires. Et pourtant.

Aussi sûrement que l'on sait en les faisant que certains choix vont changer votre regard et votre rapport à la vie, la décision de me lancer il y a plus de quatre ans, je l'ai prise d'instinct, tout en sachant que je faisais sacrément confiance au destin. Comme on se jette, un peu inconscient, du haut du grand plongeoir.

Sensation sûrement proche de celle que ressent un couple qui décide d'avoir un enfant. Comment pourraient-ils savoir s'ils seront de bons parents, s'ils vont rendre heureux leur enfant ? Comment apprécier s'ils aimeront les bouleversements que la naissance ne manquera pas d'entraîner, quand ils ne les ont pas encore vécus?

Devenir parent n'est jamais conforme à ce que l'on imaginait avant de l'être. Ni plus facile, ni plus dur, juste différent, et plein de surprises. De la même manière, se lancer dans une thèse n'est pas du tout conforme à ce que l'on imagine avant, ni à ce que les gens qui ne l'ont pas vécu imaginent.


Aujourd'hui, il me semble qu'au delà de l'effort intellectuel, de l'assiduité et de la constance qu'elle impose, la thèse permet d'entrer dans un rapport différent au temps, où l'impression d'être toujours en retard côtoie celle de ne jamais en finir, où l'on mûrit à grands coups de doutes dépassés, sans quitter le statut d'étudiant, où l'on apprend la solitude tout en découvrant, parfois, l'immense émotion de la transmission.

Certains découvrent la volonté, et le travail acharné, aussi. D'autres, naturellement dotés d'une certaine capacité à s'astreindre (la petite Turtle du haut de ses deux ans à peine ne se couchait qu'après avoir consciencieusement rangé ses petits chaussons parallèle au pied de son lit, raconte la légende), apprennent le lâcher prise. Les découvertes fabuleuses que permettent les chemins de traverse, la curiosité et la contemplation. Le temps de la réflexion, et les limites de la force. L'immense nécessité de l'amitié, du rire et du regard plein de confiance de ceux qui nous aiment, quand soi-même l'on est proche de douter de son propre nom.

Quelle que soit l'issue de ce qui finira par constituer un quinquennat, j'aurai au moins découvert cette richesse là.

Pleine de cette douce pensée, et sans autre transition, je vous propose de passer à la leçon du jour :

Comment moderniser un plat classique en deux coups de cuillère à pot ?

Rien de plus simple !
Prenez un grand classique de la cuisine française, traditionnellement servi à Pâques, l’épaule d’agneau dorée au four et servie avec les classiques flageolets. Faites lui alors subir un relooking dans les règles.
Pour cela, quittez les sentiers battus et laissez-vous influencer par des inspirations étrangères et la douceur d’une association sucrée salée.
Quelques feuilles de brick croustillantes pour parer la viande (recyclant allègrement une fabuleuse idée d'Eric), un chutney de rhubarbe, légèrement sucré, acidulé et poivré. Quelques légumes verts boudés par les enfants et les hommes peu réceptifs aux bienfaits d’une alimentation équilibrée, revenus lentement dans un lait de coco à la touche naturellement exotique et généreuse, assurance d’une texture fondante et généreuse à souhait. Enfin, quelques cocos de Paimpol transformés pour l’occasion en une crème onctueuse, jouant les madeleines de Proust de la tradition.
Et voilà… Vous voici face à un plat étonnant, original, et tout bonnement délicieux…


Cigares d’agneau aux amandes et chutney de rhubarbe aux 3 poivres, poêlée de légumes verts

Ingrédients pour 4 personnes :
  • 250 g de blettes
  • 150 g de salsifis (surgelés, ou en boîte)
  • 20 cl de lait de coco
  • 15 cl de crème fraîche liquide
  • 350 d’épaule d’agneau désossée
  • 100 g de cocos de Paimpol (ou d’haricots blanc demi-secs)
  • 35 g d’amandes entières
  • ½ échalote
  • 400 g de rhubarbe (surgelée ou préparée et coupée en morceaux)
  • 20 g de beurre + un peu pour faire revenir les cigares
  • 10 cl de vinaigre de cidre
  • 125 g de sucre
  • 10 grains de poivre cubèbe
  • 1 poivre long
  • Mélange 5 baies
  • Sel
  • Huile
  • 6 feuilles de brick


    Marche à suivre:
  • Préparer le chutney :
    Faire fondre dans une casserole le beurre, et y mettre les morceaux de rhubarbe, arroser avec le vinaigre de cidre et l’eau, ajouter le sucre, en remuant, y glisser les grains de poivre cubèbe, râper le poivre long et ajouter un peu de mélange 5 baies
  • Laisser cuire à feu doux, pendant une trentaine de minutes, jusqu’à ce que les fruits aient compoté
  • Goûter, et ajouter éventuellement un peu de sucre, en fonction du goût souhaité
  • Pendant ce temps, préparer les légumes :
  • Laver les blettes, retirer les feuilles éventuellement abîmées, et émincer finement
  • Dans une poêle chauffée, jeter les blettes émincées, ajouter les salsifis, et verser le lait de coco, laisser cuire doucement une trentaine de minutes, en remuant régulièrement, jusqu’à ce que le lait de coco ait réduit, saler et poivrer
  • Faire chauffer une petite casserole avec la crème fraîche, et un peu d’eau, y glisser les cocos de Paimpol, saler et laisser cuire une vingtaine de minutes, mixer le tout pour obtenir une crème lisse et un peu dense
  • Enfin, préparer les cigares d’agneau :
  • Hacher l’agneau au couteau, ajouter la demi échalote émincée en petits dés, ajouter les amandes concassées grossièrement, saler et poivrer, bien mélanger le tout
  • Faire préchauffer le four à 200 °C
  • Prendre une feuille de brick et la couper en deux, placer une bonne cuillérée du mélange en bas d’une bande de brick, recouvrir d’une cuillère à soupe de chutney et rouler la brick en cigare, procéder ainsi avec chacune des demi-feuilles de brick, réserver au fur et à mesure sur une grille du four recouverte d’un papier sulfurisé
  • Enfin faire fondre un peu de beurre et recouvrir chacun des cigares à l’aide d’un pinceau
  • Glisser au four une dizaine de minutes
  • Faire chauffer une poêle à feu vif, avec un mélange de beurre ou d’huile et faire revenir rapidement les cigares pour les rendre parfaitement croustillants

    Au moment de servir, disposer dans chaque assiette 3 cigares d’agneau, les légumes verts cuits au lait de coco (que vous pouvez disposer dans un petit cercle à entremet, pour un rendu plus esthétique), couverts d’une belle cuillérée de crème de cocos de Paimpol. Ajouter enfin une belle cuillérée de chutney de rhubarbe aux 3 poivres.

Bilan des courses:

Comme à l’accoutumée, pour tester ce plat aux saveurs étonnantes, j’ai réuni un public peu averti, voire franchement hostile à l’originalité, juste réceptif à l’idée de se régaler. Pari gagné ! L’enthousiasme des testeurs a balayé en une seconde le temps passé en cuisine, et les préjugés de ceux qui croyaient -bêtement!- ne pas aimer la rhubarbe.
Tous ont littéralement fondu pour les saveurs croisées de la rhubarbe légèrement sucrée et acidulée, associée à la force de l’agneau paré de sa robe croustillante.
Les blettes et les salsifis, onctueux et fondants, grâce à leur cuisson au lait de coco, apportaient la note verte, complétée à merveille par la générosité de la crème de cocos de Paimpol. Le tout créait un plat équilibré, alliant modernité et classicisme dans un enchantement des papilles…
Alors, prêts à relever le défi ?

Conté par Alhya at 4/28/2008 11:38:00 PM | 42 comments

avril 18, 2008

Last but not least, retour sur quelques repas égyptiens

Et voilà.... Plus de dix jours déjà que je suis rentrée d'Egypte... Quelle était agréable, cette douce légèreté rapportée de terre étrangère, stagnant dans l'air les premiers jours...


Egypte surprenante, son empreinte était encore là, palpable... Elle et ses contrastes qui ne cessaient de me bercer, la première semaine, lorsque, le soir venu, je les revoyais danser sous mes paupières closes.

Et pourtant, il a bien fallu me résoudre à cesser de rêver à cette contrée lointaine, m'interdire de replonger des heures durant dans les centaines d'images ramenées de là bas, et accepter de retrouver le fil de ma propre vie, si différente.



Alors, la vie m'a rattrapée. Un peu trop vite, ai-je d'abord pensé.


Ce soir, après une dure semaine de labeur et une journée qui m'a finalement réconciliée avec mes peurs, je sens, à nouveau apaisée, que je peux sereinement replonger quelques instants dans la magie égyptienne.


Pour cela, rien de mieux que de vous toucher quelques mots d'instants plus "gastronomiques" vécus là-bas. Et je me sens d'autant plus décomplexée, qu'avec un blog culinaire, il est quasiment de mon devoir de vous narrer un peu ce que l'on peut y déguster!



Lorsque l'on part à la découverte d'un pays, les spécialités culinaires sont des parties tout à fait essentielles de la culture locale, autant de petites portes ouvertes sur la compréhension d'un peuple. Et il faut bien avouer que, sous cet angle encore, la vie égyptienne est riche, colorée, et étonnante.

Premier objet d'étonnement : le rythme des repas égyptiens, pour le moins différent du notre.

Après un solide petit déjeuner, principalement salé, les étudiants égyptiens ne semblaient sentir la faim que vers 17 ou 18 heures. Une heure... indue pour mon estomac de française, très habitué à ses trois repas quotidiens. Bien sûr, rien ne nous interdisait de manger plus tôt. Pourtant, pris dans la folie de la découverte, nous avons très vite opté, nous aussi, pour des repas en fin d'après midi.

Juste de quoi sentir la faim marteler les talons et être fins prêts à dévorer ce que comportaient les assiettes. Car, deuxième objet d'étonnement, celles-ci étaient toujours garnies de plats aptes à sustenter un ogre, et tenant au corps de longues heures durant. Nul endroit où juste manger une salade. Non, d'ailleurs, point de légumes présents sur les cartes. Il faut préciser qu'avec mes co-aventuriers, nous étions d'accord sur un point essentiel : manger toujours typiquement local. Inutile, donc, de nous convier à la table de quelque restaurant chic proposant une nourriture occidentale. Au cours de cette semaine, nous n'avons ainsi découvert que des spécialités, dégustées dans quelques bouibouis, rencontrés au gré de nos balades, ou guidés par nos étudiants qui se faisaient fort de nous accompagner dans les lieux les plus renommés et typiques du Caire.


Je rêverais de vous montrer chacun de ces lieux, aussi essentiels pour comprendre la vie égyptienne, que les plats que j'y ai dégusté. Malheureusement, enfin assise confortablement après des heures passées sans se poser quelques instants, je n'avais plus qu'une seule idée fixe : profiter du moment et me régaler.

Perdus au milieu des quelques 2000 photos prises là-bas (no comment, je n'étais pas la seule à photographier!), quelques clichés de plats typiques me permettent néanmoins de vous en décrire certains.


Pour commencer, les petits pains, servis dans chaque restaurant, accompagnés du tahin et de quelques feuilles de salade, tomates et concombres, recouverts d'une sauce pimentée.




Ensuite, les grandes assiettes de poulet grillé, servi généralement avec du riz.




Plus typique du Caire, et servi en plein milieu du Souk Rhan El-Khalili, le pigeon farci au riz, absolument délicieux lorsqu'on sent que l'on va tomber d'inanition après de longues heures passées à négocier quelques achats.



Bien que l'on ne le voit pas sur la photo, prise avant de s'attaquer à deux mains à la bête, le pigeon est farci d'un riz frit, rissolé dans les épices, lequel se répand en parfums incroyables, dès qu'on le porte en bouche. Une fois dévoré en suivant à la lettre le processus que me décrivaient trois de mes étudiantes (commencer par les pâtes, ensuite s'attaquer au bout rondouillard, où séjourne le riz, ensuite, décortiquer le corps de l'animal), et les doigts consciencieusement léchés, ne restait plus qu'à faire la queue pour accéder à la petite fontaine, située à quelques mètres de là, pour se laver à grandes eaux les mains, au milieu des conversations animées et dans un brouhaha qui me manque tant....

Autre grand moment de plaisir, la découverte des falafels locaux.

Pour avoir vainement tenté de concocter moi-même des falafels avec Guillemette pour le réveillon, -expérience s'étant transformée en vaste fiasco-, je sais qu'il est indispensable pour réussir ce plat qui s'avère délicieux, bien réalisé, d'avoir LA bonne recette. A l'heure qu'il est, je dois bien admettre que je n'ai pas pensé à en demander une à l'un de mes étudiants, avant de partir. Mais ne vous inquiétez pas, je compte bien vite réparer cet oubli impardonnable, et dès que je l'aurai, je ne manquerai pas de vous en toucher deux mots.



Précisons que ceux dégustés là bas avaient cette particularité d'être très parfumés, et d'être notamment associés à des graines anisées, croquantes sous la dent, rafraîchissant à merveille le tout... un pur bonheur!



Terminons ce rapide petit panel des spécialités égyptiennes avec l'un de leurs plats les plus populaires, que l'on déguste dans des restaurants spécialement dédiés à leur préparation : le Koushary




Sous ses airs très engageants, ce plat est pourtant celui qui nous a sûrement le moins séduit. Réalisé avec des oignons frits, des pois chiches, des lentilles et deux sortes de pâtes, il se déguste servi avec une sauce à base de tomates, dont on vous présente plusieurs versions, plus ou moins pimentées.
Une fois mêlé, le plat ressemble donc à cela...
Inutile de vous dire qu'il s'agit là du repas le plus consistant avalé là bas, qui nous a valu bon nombre de fou-rires rétrospectifs, lorsque nous en évoquions les saveurs... finalement plus proches d'un bon plat de cantoche d'un vendredi, que d'une merveille de gastronomie!


Je pourrais encore vous parler de ces feuilles de vigne, dégustées chez cette maman égyptienne, accompagnés d'une viande aussi fine que de la dentelle, et fondante en bouche dans un parfait mélange d'épices, dont je ne saurais décrire l'association merveilleuse et subtile sans la trahir....



De ces keftas parfumé à la coriandre.

De ces malbans à la crème, petits gâteaux mous, dont la pâte est réalisée à base de farine et d'eau, et fond en bouche pour révéler son coeur crémeux (que l'on aperçoit sur l'une des photos du précédent billet : celle où les deux pâtissiers sourient en me tendant le papier qui les contient).

De ces basboussas, petits gateaux de semoule parfumés à la fleur d'oranger et si beurrés qu'ils évoquent le kouign amann, dont nous nous sommes régalés, le soir venu, lorsque dans la chambre d'hôtel nous nous retrouvions pour boire un dernier karkadet, cette infusion de feuilles d'hibiscus sucrée et servie glacée.

Ou encore de ces sorbets à la mangue, absolument divins, de ces laits frappés au jus de goyave tous blancs et si épais qu'ils vous rassasient en même temps qu'ils vous désaltèrent....





Et de ces innombrables magasins d'épices, découverts dans quelque quartier reculé du souk, et dans lesquels on pourrait prendre racine, sans y prendre garde.

Et laisser s'égrainer les minutes, à humer chacune d'elles, assise confortablement, pendant que le vendeur ouvre les boîtes, unes à unes, sous votre nez par l'odeur alléché ...

Voilà, allez, c'est promis, la prochaine fois, je vous parlerai de recettes, pour changer!
Une petite pensée particulière, pour finir à tous ceux qui ont pris le temps de me laisser d'adorables messages sur le précédent billet... Autant de petites bouffées d'énergie qui m'ont aidée plus qu'il n'est possible de le dire à réatterrir en douceur...

Conté par Alhya at 4/18/2008 09:17:00 AM | 43 comments

avril 07, 2008

Inch'allah, ils disaient....













Je ne sais pas quand est-ce que l'on atterrit vraiment d'un tel voyage. Pas immédiatement, sans doute.
Je ne sais pas si les instants si intenses vécus là bas plairaient à mes amis. Pas à tous, sans doute. Je ne sais pas comment trouver les mots pour décrire les émotions m'ayant traversé en l'espace d'une semaine aussi riche et intense qu'un mois. Il me faudra du temps, sans doute.

Je ne sais pas pourquoi j'ai la gorge qui se serre, chaque fois que je sens la poussière du Caire qui se niche encore dans certains de mes vêtements et me surprend en traitre, au moment où je m'y attends le moins. La fatigue, sans doute.





Lorsque j'étais petite et que je pensais à l'Afrique, j'avais cette image de gens marchant, tête à l'envers, de l'autre côté du globe. Finalement, je n'avais pas totalement tort, à un détail près. Là-bas, c'était moi qui marchait à l'envers.


Aussi étonnée qu'en apercevant des aiguilles remonter le temps, j'ai ressenti dès la première seconde tout ce que je ne connaissais pas encore de l'Egypte, et imaginais tellement mal jusque là. Pas d'Egypte carte postale, pour moi. Pas de pyramide émouvante, dans mon regard. Les hiéroglyphes m'ont laissée presque de marbre. La découverte n'était pas là. Non, la rencontre était ailleurs. Que vous en dire, du coup? Tout ce que j'y ai ressenti tient à peine en quelques mots : les gens, le bruit, la lumière et l'odeur. Derrière chacun d'eux, un flot de souvenirs et d'émotions.

Je ressens encore l'arrivée nocturne à l'aéroport du Caire, dans cette atmosphère lourde de poussière et de chaleur et, surtout, la première nuit au souk, dès les valises posées.


Choc auditif et olfactif d'abord. Tout n'est que bruit, poussière, gaz d'échappements, épices, parfum de rose, et de chicha aux odeurs de melon ou de poire brûlant dans l'air, marée humaine.

La nuit scintille de lumières et de couleurs, s'anime d'éclats de voix partout alentours. Langue dure, aride, à mes oreilles d'occidentale, j'ai appris à aimer sa musique et la tension qui l'anime. Jamais de calme ou de silence au Caire. Entre éclats de rires, conversations passionnées et négociations, les hommes et les femmes s'affrontent verbalement, jusqu'à ce que l'un d'eux cède, ou rigole.
Egypte de la confrontation et de l'intimidation permanente.

Ne jamais savoir si l'on va sortir gagnant de la bataille qui se joue dès que l'on pose un regard intéressé sur un objet. Ne jamais savoir si les hommes vont en venir aux mains.

Ne jamais savoir si, l'heure de rentrer venue, le taxi saura retrouver la route de l'hôtel, écrite en arabe sur un bout de papier que l'on présente à la fenêtre, en se donnant des airs décidés et sûrs de nous, annonçant un prix nettement plus bas que celui que paient les touristes, alors que l'on sait pertinemment que nous ne connaissons pas la route du retour et qu'il faudra forcément faire confiance à cet homme à la tête burinée par la vie.

Face à ce déferlement de bruit, de stress, et d'inconnu qui soudainement vous engloutit, deux options : tenter de résister et risquer de se briser, ou faire la folie de lâcher les amarres.

Tel un galet qui se laisse charrier par la vague énorme, j'ai levé les pieds qui me rattachaient encore au sable et me suis laissée glisser, sans savoir où le rouleau m'emporterait. J'ai fait confiance, sans rien savoir, hormis que dès les premiers instants j'aimais tout d'eux.

Pour m'aider à plonger dans l'aventure, je n'étais pas seule. Mes comparses de voyage, devenus en l'espace de quelques heures mes amis, étaient là, découvrant aussi émerveillés que moi ce nouveau monde.

Tous les matins, il y avait ces départs pour l'Université, généralement encore un peu groggys par la journée de la veille et la courte nuit, ayant avalé pendant de longues minutes un petit déjeuner à base d'omelette, de fromage à la texture moelleuse, mais aussi salée que la feta, de tomates, concombres et de cake, arrosés d'un café délavé, nous essayions tant bien que mal de relire à la va-vite le cours du jour et de réunir un peu d'énergie.


C'est qu'il en fallait, pour faire face à ces étudiants joueurs qu'aucun excès d'autoritarisme ne peut convaincre d'arriver à l'heure ou d'arrêter de rire, discuter, ou se chamailler, aussitôt le dos tourné, ou pas, d'ailleurs. Ces garçons que vous surprenez tout d'un coup en train de jouer les montagnes humaines, chiots fous, malgré leur vingt et quelques années. Comment réagir, et surtout, comment être autoritaire, lorsqu'ils vous regardent avec des rires plein les yeux, désarmants de gentillesse?

Moqueurs sans jamais être méchants, dissipés tout en étant capables de répondre aux questions, ils se précipitaient sur nous, dès la fin du cours, nous suppliant de venir déjeuner dans leur maison, de les laisser se balader avec nous dans la ville ou de nous accompagner pour un tour de felouk sur le Nil, n'ayant toujours qu'un souhait, nous permettre d'aimer un peu leur pays qu'ils jugent pour certains si durement.







Dès les premiers jours, ne plus penser en occidental. Partir à la découverte de la ville, découvrir des trésors de beauté presqu'à chaque instant...








Enseigner quatre heures, partir derechef et à jeun, depuis le matin, dans le quartier copte, au musée du Caire, ou dans quelques mosquées. Marcher, sans sentir les kilomètres, mitrailler tout ce qui appelle le regard, réaliser à 17 heures passées qu'on va finir par tomber d'inanition.
S'installer alors sur une table dans la rue, pour dévorer des pigeons farcis au riz, des keftas bourrés d'épices, du poulet grillé, des falafels à se damner et autres foul (purée de fèves au cumin), toujours accompagnés de galettes de pain à tremper dans le tahin, et de quelques tomates et concombres pimentés.
Finir à 22 ou 23 heures par quelques pâtisseries orientales à base de semoule ou de cheveux d'ange, découvrir un riz au lait cent fois plus fondant que le notre, ou un yaourt crémeux, aussi doux qu'une mozzarelle qu'on n'aurait pas laissé prendre.
Apprendre à dégotter des toilettes au fin fond d'une cour ou d'un immeuble délabré, parfois sans lumière ni eau, sans broncher, ni même, au fil du temps, le noter. Juste essayer de se souvenir de ne pas boire l'eau à l'odeur de chlore.






Siroter un thé vert ou un karkadet dans le café Fichaoui, institution du souk, après avoir traîné nos souliers des heures durant, souffler....












Rhan El-Khalili. Malgré la fatigue, le souk et sa danse magique nous appelaient, tous les soirs. Bouffée de tension, de rires et d'émotions mêlées, qui clôturait ces journées qui n'en finissaient presque plus.
Rentrer indemnes, miraculeusement, se coucher épuisés et le lendemain, recommencer.
Se balader dans les mosquées et laisser quelques instants le temps s'arrêter...





Après quelques jours, des marches arrières des voitures sur le périphérique, aux traversées à pied des artères monumentales, en pleine circulation, imposant d'une main soit-disant autoritaire, et en réalité si dérisoire, aux voitures lancées de nous laisser passer, plus rien ne nous étonnait. Tout n'était que rire et dérision, stupeur et émerveillement.


Les yeux pleins d'étoiles et secoués par des fou-rires permanents, seules armes en notre possession, nous avons vécu à cent à l'heure.


A jouer sa vie à tous les coins de rue, l'on oublie qu'elle peut être triste ou grave.... Inch'allah, ils disaient....



La rue si pleine de vie,




Quand je ferme les yeux, je revois les policiers, partout omniprésents, guettant la moindre incartade, empêchant toute photo d'eux, et toujours prêts à récupérer quelques bakchichs. Ces taxis fous, slalomant à 80 dans les embouteillages, dans leur 104 rouillée, sans vitre ni feu, cacophonie de klaxons qui seuls comptent, pendant que les feux rouges n'arrêtent personne, et que les voitures arrivent de toute part. Le rire des étudiants nous observant chercher la ceinture de sécurité, en vain.






Je revois les grands yeux noirs des égyptiens.


J'entends à nouveau les grelots de rires de ces jeunes filles voilées, tapant dans leurs mains en chantant, sur la felouk voguant sur le Nil à la tombée de la nuit. Ces filles si pleines de joie de vivre, s'empêchant si difficilement de danser sous l'oeil des garçons, retenues par une religion qui leur autorise si peu, mais qu'elles respectent tant...

Je ris en repensant au sourire tout gêné et aux joues rosies de ces garçons qui m'appelaient "mozza", n'osant plus me regarder lorsqu'ils apprenaient un soir, dans ce café de la liberté où les égyptiennes n'entrent pas car l'on y vend de la Sakara, que ce nom qui sonnait au départ à mes oreilles comme un fromage italien signifiait "la belle", et que je le savais depuis quelques jours déjà...



-"Vous aimer l'Egypte, Madame?" m'ont demandé un matin mes étudiants





Et devant mon oui enthousiaste et le sourire qui barrait mon visage,
-"Mais pourquoi, madame?", se sont-ils exclamés, effarés

Comment vous faire comprendre, Andro, Georges, Maria, Hassan, Mina, Souhelen, Khadiga et les autres? Comment vous dire que jamais en l'espace de cinq ans d'enseignement, je n'ai eu cette impression incroyable de donner si peu, en comparaison de ce que j'ai reçu de vous en retour. Comment vous dire combien vous expliquer nos libertés et notre système juridique français si carré me semblait irréel et superflu en voyant vos vies. Vous, égyptiens éduqués et aisés dans un pays où vos yeux ne semblent plus voir l'extrême pauvreté qui vous entoure, tant ils y sont habitués. Vous qui pensez à la France comme à la terre promise, vous efforçant de décrocher une année d'études ici, quand je sais que jamais celle-ci ne vous donnera un tiers de l'accueil que vous nous avez offert. Cette générosité si spontanée, sans l'ombre d'une attente en retour, si ce n'est l'espoir de nous faire plaisir.


Le dernier soir, j'aurais voulu tous les serrer fort dans mes bras et ne pas voir l'eau embuer le regard de certains d'eux, lorsqu'ils nous ont dit "vous allez me beaucoup manquer, Madame, beaucoup, tous". J'aurais voulu ne pas les quitter, après le dernier souk, où ils nous ont accompagné sans sourciller, pour nous aider fièrement à négocier les derniers achats, jusqu'à 3 heures et demi du matin.





Grâce à eux et à mes amis de voyage, si uniques, j'ai découvert le Caire changeant, multiple et tellement vivant. Une Egypte aux cent visages. Pas une pyramide ne pourra refléter ou égaler pareille découverte.

D'avoir croisé leur regard, le mien ne sera plus jamais tout à fait le même...




Conté par Alhya at 4/07/2008 09:32:00 PM | 72 comments